La dépression, un mal rampant chez les sportifs

Interview publiée dans l’Équipe le 15 mars 2022

https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-depression-un-mal-rampant-chez-les-sportifs/1322332

Une consultation menée par une association, le Comité éthique et sport, auprès d’un millier de sportifs de tous âges et tous niveaux, révèle l’ampleur d’un mal omniprésent : la dépression. Analyse d’un phénomène sur lequel le tabou se lève peu à peu.

Annabelle Rolnin

15 mars 2022 à 19h04

Les larmes de Naomi Osaka et la détresse de Simone Biles ont choqué les fans de sport et le grand public, l’été dernier. Cette semaine, la joueuse japonaise a de nouveau exprimé son mal-être après avoir été prise à partie par une spectatrice à Indian Wells alors que le capitaine de l’équipe de France de handball Valentin Porte nous a raconté sa déprime et sa thérapie. Qu’en pensent les sportifs ? « On était surpris qu’il n’y en ait pas plus qui craquent », lance même Gary Florimont. Cet ancien basketteur professionnel de 34 ans est l’un des ambassadeurs du Comité éthique et sport, une association créée il y a huit ans dont l’objet est de faire des propositions sur certaines déviances à l’éthique dans le sport.

À l’automne 2020, le Comité a lancé sur les réseaux sociaux une enquête en ligne sur la dépression. 1 020 sportifs de 15 ans et plus ont rempli la consultation anonyme dont les questions se basaient sur les critères cliniques du syndrome de dépression. Sur l’échantillon quasiment paritaire (51 % d’hommes, 49 % de femmes), 75 % pratiquaient le sport en compétition (15 % de professionnels, 28 % avec un statut haut niveau, 32 % de compétiteurs sans statut), les 25 % restants avaient une activité de loisir.

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L’enquête révèle un phénomène important. Bien sûr, la pandémie a eu une influence sur la santé mentale pour 62 % des interrogés. Plus de 80 % d’entre eux ont vécu au moins l’une des situations suivantes : manque de force ou d’énergie, sentiment de tristesse, nervosité, anxiété, manque de confiance. La moitié fait part du manque de plaisir à pratiquer leur discipline et avoue se rendre à l’entraînement à contrecoeur. Plus inquiétant, 25 % des répondants ont avoué avoir déjà pensé que la vie ne valait pas la peine d’être vécue (52 % chez les 15-17 ans).

Les femmes moins souvent touchées que les hommes

Un élément ressort aussi très vite de cette enquête qui a fait la différence entre les sexes masculins et féminins, les tranches d’âge, les sports collectifs et individuels ou encore le niveau de rémunération. Alors qu’en dehors du monde du sport, il existe une prévalence de la dépression chez les femmes, ici, le sentiment de fragilité et de mal-être est nettement plus mis en avant par les hommes. Le sentiment de tristesse est par exemple décrit par 97 % des hommes interrogés contre 48 % chez les femmes. 38 % des hommes ont répondu que la vie ne valait pas la peine d’être vécue, contre 12 % des femmes.

« Je pense que les femmes sont habituées à manager une charge mentale beaucoup plus importante que les hommes au quotidien, de par leur rôle dans la société, avance Gary Florimont. Ensuite, beaucoup de femmes, même à très haut niveau, ne vivent pas de leur sport. Elles ont des problématiques professionnelles liées à madame tout le monde et sont obligées de se projeter différemment sur ces notions de reconversion. Au final, elles sont beaucoup plus armées pour faire face à certaines problématiques psychologiques. »

Les femmes, sur plusieurs fronts et moins bien rémunérées, seraient donc moins exposées à la dépression ? Laure Delisée, psychologue clinicienne engagée dans l’association, complète : « Les femmes ont aussi plus l’habitude de parler, sont plus à même d’aller chercher de l’aide pour aller mieux. D’autre part, l’homme s’identifie énormément à son corps, à sa performance. Dans notre jargon, on dit que le corps est Phallus, pas au sens du sexe, mais au sens du pouvoir. Dès lors qu’il est arrêté dans sa performance, dans son désir de dépassement de soi, il vit ça comme une castration symbolique, ça touche à sa masculinité. L’effondrement est plus difficile. »

Ajoutons à cela l’exposition médiatique plus grande pour les hommes que pour les femmes, les standards sociétaux auxquels le mâle doit répondre : force physique, mentale, virilité, efficacité, et le piédestal sur lequel il (s’)est hissé pour réussir dans l’élite l’isolent encore davantage. « L’homme a alors tout le terreau qui lui permet de fuir une réalité évidente, c’est-à-dire des fragilités psychologiques liées à la condition d’homme, les réalités de reconversion, de blessure, de faiblesses en fait », analyse Florimont. L’ancien joueur, qui a quitté sa Guadeloupe natale encore adolescent pour se former à Cholet avant de fouler les parquets de Pro A et Pro B, a lui-même traversé une dépression à 27 ans, suite à une blessure.

« On porte un masque d’athlète, il devient notre identité. On cherche à le nourrir, mais il nous vide »

Gary Florimont

C’est son épouse qui avait détecté les premiers signes de la dépression, souvent qualifiée dans le milieu de « mauvaise passe », « manque de motivation ». « Des termes génériques destinés à cacher ces pathologies pour ne pas abîmer la stature du sportif, qu’il reste au-dessus de ces notions qui nous ramènent au statut d’homme », commente l’ancien pivot.

L’entourage joue donc un rôle majeur dans la santé mentale des sportifs. Et là aussi, l’enquête dévoile un écart hommes-femmes important : 73 % des hommes interrogés ont le sentiment d’être incompris par leurs proches, contre 48 % des femmes. Un sentiment nourri par la peur de décevoir sa famille, qui a parfois consenti des sacrifices, l’idolâtre ou fait peser sur lui des attentes. « Mon entourage ne me conçoit que par ce statut de sportif de haut niveau. Si je ne suis plus sportif, je deviens quelqu’un sans intérêt. J’erre. On porte un masque d’athlète, il devient notre identité. On cherche à le nourrir, pour plus de reconnaissance, de succès, mais il nous vide », résume Gary Florimont.

La cellule familiale peut aussi être le seul endroit où les athlètes tombent le masque, souligne Laure Delisée : « Il faut aider l’entourage à détecter la vulnérabilité dépressive, favoriser les situations de parole. Les signes cliniques sont multiples et souvent faciles à repérer : repli sur soi, changements d’humeur, problèmes de sommeil, mauvaises pensées sur soi, agitation excessive voire hyperactivité. Et ensuite faire le relais, pas forcément auprès de l’entraîneur, car certains aussi sont pris dans des problématiques narcissiques de performances. »

En France, si la préparation mentale a fini par rentrer dans les moeurs pour les entraîneurs, il n’en va de même avec le suivi psy, fluctuant selon l’entité : un club professionnel ou, à l’opposé, un sport individuel et olympique. « En club, les préparateurs physiques ont des  »maps » pour jauger l’état de forme des joueurs, relève Gary Florimont. Est-ce qu’on a assez bu ? Bien dormi ? Est-ce qu’on s’est bien étiré ? Etc… Il faudrait aussi une  »map de la psyché ». »

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Une initiative assez récente du CIO va pouvoir pallier ce manque et soutenir les entraîneurs par le biais du staff médical. Car un coach qui n’a jamais été formé aux bases de la psychologie va peiner à détecter la profondeur d’un mal-être. D’autant plus que la dépression ne s’accompagne pas toujours ou n’est pas toujours due à une baisse des résultats. On peut être performant en étant dépressif, confirme la psychologue Laure Delisée. « C’est un mécanisme de défense, il y a une dissociation du corps et de l’affect. Le corps devient une machine qui s’exécute, mais le sportif est vide de l’intérieur. Ce n’est pas tenable, ça ne dure qu’un temps. » Ce qui peut provoquer un retard dans la prise en charge, une confusion dans l’entourage.

La plongeuse Laura Marino, qui a stoppé sa carrière en 2019, à 25 ans, à cause d’un burn-out, l’expliquait très bien dans nos colonnes. « Les rares fois où j’ai essayé de tirer la sonnette d’alarme parce que je me rendais bien compte qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, on m’a dit :  »non, ça va, regarde ». Un des critères principaux pour le burn-out, c’est la contre-performance. Comme j’avais des super bons résultats, ça excluait le fait que je sois en surentraînement ou en burn-out. Et moi ça me rendait folle parce que je savais au fond de moi que j’étais à la moitié de ce que j’étais capable de faire, mais que ça ne se voyait pas parce que c’était les meilleures performances que je n’ai jamais faites. Ça sonnait prétentieux de dire ça, je n’étais pas très prise au sérieux. »

Pour que de plus en plus de sportifs soient pris au sérieux dès les premiers signes, la prise de parole de champions comme Biles, Osaka, ou à la double championne olympique de judo Clarisse Agbégnénou, qui avait ouvertement évoqué sa dépression suite à l’annonce du report des JO de Tokyo, est nécessaire. La démarche courageuse de la judoka, comme celle de Valentin Porte, envoie un message d’espoir : la dépression se soigne, et le sport, tout comme la vie peuvent reprendre.

DES OUTILS POUR DÉBUSQUER LA DÉPRESSION

Face à l’enjeu global de la santé mentale des sportifs, différentes instances ont commencé à créer des initiatives. À son niveau, Véronique Lebar, médecin et présidente de l’association Comité éthique et sport s’active, depuis la conclusion de l’enquête, à nouer des partenariats avec des syndicats de sportifs professionnels. « Nous allons faire accompagner les sportifs qui souffrent de dépression par nos psychologues, mais aussi créer une formation aux signes de détection de la dépression ainsi que des outils d’autodiagnostic faciles et accessibles. » La fameuse « map de la psyché », évoquée par le basketteur Gary Florimont (voir ci-dessus). Des outils similaires existent depuis peu.

Ancien footballeur pro devenu professeur, Vincent Gouttebarge a développé pour la FIFPro, le syndicat mondial des joueurs dont il est le directeur médical, une boîte à outils qui leur est destinée. Il dirige aussi depuis 2019 le groupe de travail constitué de 11 experts internationaux dédié à la santé mentale créé par le CIO.

« On  »screene » les sportifs en début de saison pour des problèmes musculaires, articulaires ou des pathologies cardiovasculaires et il n’y avait rien pour la santé mentale, ce qui est bizarre. Cet instrument, le SMHAT, pour sport mental health assessment tool (outil d’évaluation de santé mentale), a été développé pour les médecins du sport, qui sont ceux qui dirigent le staff médical et sont au contact quotidien avec les sportifs. Il est destiné à être utilisé au début de la saison mais aussi dès qu’il y a un événement de la vie, une blessure grave, ou dans la vie privée. »

Autre initiative, aux JO et Paralympiques de Tokyo, le groupe de travail avait mis en place une ligne téléphonique anonyme, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec un professionnel de la santé mentale. Le dispositif a été renouvelé à Pékin cet hiver.

Si chaque prise de parole de sportifs sur la question contribue à lever peu à peu le tabou, les habitudes sont tellement ancrées que la sensibilisation est un enjeu crucial. Maroussia Paré, membre du relais 4 x 100 m français aux JO de Tokyo, également psychologue clinicienne, tente par exemple, à travers son compte Instagram @sportetpsycho, de « montrer qu’il y a des solutions. Aller chez le psy, ce n’est pas quand on est fou ou faible. » Grâce à ce format moderne, la sprinteuse puise dans son expérience d’athlète pour normaliser un discours autour de la gestion des émotions et banaliser la prise en charge psychologique dans le projet des sportifs.

publié le 15 mars 2022 à 19h04

Un concept innovant : La Thérapie Par la Course à Pied

Interview réalisée par Pierre Finot le 18 Novembre 2014 et publiée dans son blog Jog’In

http://www.jogin.fr/

La Thérapie Par la Course à Pied, un chemin pour muscler son Moi

Laure Delisee

Laure Delisée

1- Commençons par le commencement peux-tu nous parler un peu de ton parcours à la fois de psychologue et de coureuse ?

J’avais quatre ans quand  j’ai demandé à la psychologue scolaire de me faire entrer dans son bureau prétextant que j’avais de « l’air froid dans les yeux ». Curiosité inconscient/conscient de connaître cet endroit où la psychologue entrait seule avec un enfant dans un cabinet fermé. Que se passait-il là-dedans ? Je voulais voir et savoir. Je suis sortie avec un mot
« Pas d’inquiétudes : Laure n’a pas froid aux yeux! »

J’avais à peine 4 ans quand j’ai appris l’art de marcher avec mes parents, pressentant cette alternance de rythmes, de silence, de paroles.
Et, petit à petit, ma propre séquencialisation  (hâte, empressement peut-être …) a émergé et c’est ainsi que j’ai eu besoin, envie de courir. Courir est devenu un plaisir, une liberté.

J’avais 19 ans quand j’ai préparé mon bac philo seule tout en suivant une formation théorique d’Éducateur Sportif avec une spécialisation en plongée sous-marine.
Le bac en poche, je m’inscris à la fac de psycho à Paris V. Je plonge vers d’autres profondeurs, celles de l’âme mettant ainsi en défi deux univers ; je m’interrogeais déjà sur l’importance  du rapport au corps dans le caractère inconscient de la vie psychique.

J’ai effectué  un très long travail personnel avec une psychanalyste d’exception, qui m’a transmis l’idée de l’existence d’un « style » thérapeutique – puis j’ai fait une 2ème tranche d’analyse, traditionnelle 2 fois par semaine sur le divan pendant 6 ans.
Durant les années qui suivirent, je suis devenue psychologue auprès d’enfants, d’adolescents mais également d’adultes.
La course à pied est réapparue après la naissance de mon  3ème enfant.
D’abord dans une solitude revendiquée, puis j’ai retrouvé une foulée, un allant, un esprit et me suis inscrite dans un club.
Cet apprentissage de la course est devenu essentiel au sens propre du terme ; il m’a permis d’analyser intimement les effets qu’ils produisaient en moi ainsi que les nombreuses inspirations qui en naissaient.
Je cours régulièrement, petits -longues distances, marathons, trails.
Encore en club aujourd’hui et en travaillant en qualité de psychologue en libéral, je continue d’éprouver ce transfert de compétences et mène ma vie à grandes enjambées, avec l’assurance de ceux qui sautent par-dessus les fossés !

2- Comment a germé cette idée d’utiliser la course à pied comme médiation thérapeutique ?

Mon travail est né de l’écoute du désir inconscient de partenaires de course  – Chemin faisant, la parole qui m’était parfois adressée librement dans cette situation, visait mon écoute de psychologue.
De ces échanges  incluant la motricité et la perception, a germé  l’idée d’aborder la cure psychanalytique  autrement de celle offerte par le cadre  classique.
Une autre approche pouvait, selon moi, être pensée, une autre manière d’inventer le divan, avec un psy «  en personne ».
La thérapie par la course à pied est donc le fruit d’une rencontre entre la pensée psychanalytique et celle du coureur.
Il est clair que la mise en mouvement de la course à pied appelle un apaisement et à un soulagement de la tension psychique.
Rappelons peut-être que sur le plan physique, l’oxygénation permet une clarté intellectuelle. La production d’endorphines lors de l’effort a déjà été démontrée quant aux effets dans le traitement des états dépressifs.

La question de mon travail préside donc au choix d’introduire le corps du patient et celui du thérapeute en tant qu’instrument participant autrement dit utiliser la course à pied comme médiation thérapeutique.
On parle de médiation thérapeutique lorsque celle-ci favorise un échange entre thérapeute / patient de façon à favoriser le dialogue et le retour sur soi du patient. En ce sens, on peut dire que ce dispositif est un aménagement d’un travail psycho thérapeutique par la médiation corporelle.

 » Le problème est de trouver une réponse psychanalytique au malaise de l’homme dans notre civilisation-un travail de type psychanalytique a à se faire là où surgit l’inconscient: debout, assis ou allongé. Partout où le sujet peut laisser parler ses angoisses et ses fantasmes à quelqu’un supposer les entendre est apte à lui en rendre compte. » Didier Anzieu

 En ce sens, je souhaiterais insister sur le fait que nous sommes très éloignés d’un travail de coaching.

3- Dans la pratique, comment cela fonctionne ?

Voici le cadre de mon travail :

POUR LE PATIENT

Pour qui ?

  • Homme /Femme adulte
  • Sportif ou peu (présenter un certificat médical d’aptitude à la course à pied)
  • Avec des patients qui présentent une problématique adaptée

Comment ?

  • Une séance hebdomadaire d’une heure
  • ET
  • Régulièrement aura lieu une séance au cabinet

Quand ?

  • Après plusieurs consultations dans le Cabinet.

À quel rythme ?

  • Une séance hebdomadaire
  • ET
  • Une séance par mois au Cabinet

Où Pratiquer?

  • Dans un espace sécurisé, sans circulation, un parc, au bois.

POUR LE THERAPEUTE

 Qui peut proposer une thérapie par la course à pied ?

  • AVOIR un diplôme de psychologue et une expérience psychanalytique
  • (Je possède également un Brevet d’État d’Éducateur Sportif)
  •  ÊTRE coureur aguerri et ayant des connaissances sur la pratique de la course à pied et des notions de physiologie.
  •  Être assuré pour exercer en dehors du Cabinet
  •  Penser la question de la Confidentialité avec son patient

4- Après quelques mois de pratique, peux-tu nous faire un premier retour sur les bénéfices d’une telle pratique ?

À cette question, je tenterais aujourd’hui de répondre en relatant des fragments du travail thérapeutique avec ma patiente Léa. C’est par le biais du matériel psychique de cette patiente que je peux évaluer les bienfaits de la Thérapie Par la Course à Pied.
Il y a 7 mois, cette jeune femme est venue me voir. Après un parcours professionnel varié, Léa est devenue comédienne. Ces expériences lui ont permis d’accéder à une réussite sociale et professionnelle qu’elle aimerait augmenter.
Par ailleurs, elle était toujours sans réponse du point de ses insatisfactions vis à vis de sa relation avec un homme. La laissant toujours avec un sentiment ambivalent, de frustration et d’incomplétude.
Léa présentait un mal-être vis-à-vis de son image corporelle. Elle se trouvait trop grosse et souffrait de psoriasis depuis plusieurs années.
En tant que comédienne, la prise en compte du langage corporel est fondamentale. Léa constituait une patiente qui agit son corps parce que pour être comédien, il faut se montrer, « incarner ».
Lors de nos premières séances dans mon cabinet, la douleur morale était au premier plan. Malgré cela, elle se racontait dans une certaine atmosphère de défi. De ces mouvements entre nous, une certaine force en émanait, une certaine vitalité ainsi que du plaisir à se parler.
C’est comme si consciemment, j’avais dans l’idée que je m’offrais comme objet intégrateur et vivant.
J’en suis venue à lui exposer mon idée de thérapie Par la Course à Pied. Le mot de Catherine couvreur résumait ainsi là où je voulais en venir « le dispositif devenait disposition »

Prepa TrailSur le chemin de la course, il lui arrive de s’arrêter sur un élément de l’environnement, tel un élément latent passé sous silence, il devient manifeste et ouvre la voie à l’interprétation.
La valeur objective donnée à certains éléments du réel actualise un souvenir. Selon les lieux où je choisis de la faire courir, ma patiente retrouve le souvenir vivant et le rappel d’émotions. Confrontée à ce cadre, elle ajoute l’attention apportée à la sensation, l’éclairage et le développement parfois stupéfiant à laquelle elle donne lieu. Courir au-dehors convoque la mémoire et réactualise des souvenirs en dedans.
Après une douzaine de séances à travailler avec Léa tout en courant, elle exprime l’agréable impression d’osmose avec son corps. La pratique de la course à pied est une pratique entre plaisir et douleur qui met par moments, dans un état second, une sorte d’état hypnotique qui libère la parole. Léa voit dans ce dispositif d’écoute aussi libre que possible, mais rigoureux que seul un psychologue peut proposer dans le cadre du transfert, une facilitation de la mise en mots, une mise en route de la pensée. Du point de vue théorique, la règle de l’association libre repose sur la possibilité du mouvement psychique. La Th PCAP se situe dans cette perspective dynamique. Le corporel impose à la psyché un supplément de travail, dit-elle. Parler en courant est un amplificateur.
Léa se sent reprendre une place active dans le processus de changement car pour elle, la Th PCAP permet de sortir d’une zone de confort.
Elle permet de faire l’expérience de la circulation permanente entre corps et psychisme, discipline et courage, effort- dépassement de Soi et idéal du Moi. L’interaction de la course et la performance cognitive est en jeu également.
Elle sent son corps immédiatement présent au monde. La course à pied lui apporte un sentiment de bien-être, dit-elle, qui amène à un sentiment de réceptivité. Pour Léa, le corps en état de course, « de marche », renvoie à un corps vivant et désirant. C’est une façon de dire ´´ je suis mon corps ´´ un corps pensant. Il existe en chacun de nous, un besoin d’être créateur de soi qui n’est pas sans rappeler la démarche phénoménologique de Merleau-Ponty selon la belle idée de réconciliation de Soi par le mouvement.
Si Léa a le sentiment d ’ ‘’avancer dans sa vie », sur le plan clinique, elle évolue. Dans la thérapie par la course à pied le processus de verticalisation est mobilisé. Il caractérise comme le souligne Didier Anzieu ´´ l’élan du Moi vers les instances idéales « . Le travail d’appropriation psychique et du corps a permis à Léa de se renarcissiser .L’image de Soi est meilleure.
L’audace d’une telle option à partir de la médiation de la course à pied tient à ce que ma participation au processus crée des effets effectifs. Le plaisir et l’intérêt de cette approche thérapeutique ouvrent précisément à des contenus insoupçonnés
Et c’est précisément la théorie et la clinique de cette interaction course-thérapie dont je voudrais rendre compte à minima.
Je citerai en premier lieu le rôle fondamental de mes interventions centrées sur la relation de ma patiente avec son corps, Les images du passé, le vécu corporel sont aussi souvent que possible réinsérée dans leur contexte jusqu’alors apparemment désinvestis qui resurgissant à partir de cette mémoire du corps. Je lui propose une élaboration constructive-
Le thérapeute et le patient font quelque chose ensemble. Ils se déplacent dans la même direction et recherchent dans la même direction. L’anxiété, pensées bloquées sont métabolisées par l’exercice. Le thérapeute de Course à Pied est formé pour chercher des indices verbaux et non verbaux lors de la session de course. Par exemple, une augmentation de rythme les changements de posture, les sensations physiques de l’exercice, l’effort et d’inconfort.
En mettant des mots sur le vécu du patient, le thérapeute lui propose une forme symbolique partageable.
Un processus d’étayage psychomoteur est mis à l’œuvre dans ce dispositif. (concept de pare-excitation)
Lors d’une séance à l’extérieur du Cabinet, le thérapeute partage le temps et l’espace. Il partage une expérience. Il est actif en aidant le patient à modifier la perception, regarder la vie différemment, l’expérience de pensées à travers un filtre différent, un point de vue différent, ou le même point de vue à partir d’un point de vue différent.
La Th PCAP enseigne aux patients à prendre soin d’eux physiquement tout en traitant des questions ou de problèmes liés à leur santé mentale. L’individu a besoin de quelqu’un comme une vérification de la réalité.
Le dialogue associé à l’exercice augmente les chances d’une meilleure connaissance de soi et de mieux-être. Le patient doit accepter une plus grande responsabilité dans son traitement. Ils prennent également un rôle plus actif dans leur propre amélioration. La course est un outil par lequel le patient peut s’auto-évaluer pour contrôler son état psychique.
Comme tout travail thérapeutique, se pose également la question de l’identification. Ainsi telle tendance attribuée au psy ouvrira à une voie de transfert largement cultivée et cultivable.

Freud a souvent fait part à ses correspondants que c’est sa formidable ´´ compulsion de vie ´´ qui toujours venait dans le même temps ´´le ré enchanter ´´
C’est à cet héritage que je me propose de m’identifier et de participer à la réactivation de la pulsion de vie en accompagnant mes patients en course à pied !

5- Cette méthode thérapeutique est-elle nouvelle en France, y a-t-il des antécédents ?

Ce concept est innovant en France mais l’idée du bénéfice du mouvement et de sa relation à la pensée remonte à la nuit des temps.

Solvitur ambulando – Cette phrase du philosophe grec Diogène : « Le problème se résout par la marche. » a toujours interrogé les philosophes au cours de siècles.
Depuis longtemps, la marche a souvent été la solution au problème.
Pour Thomas Jefferson, le but de la marche était de libérer l’esprit de pensées. « Le but de la marche est de se détendre l’esprit. »
Pour Nietzsche, « Toutes les grandes pensées sont conçues tout en marchant ».
Pour Ernest Hemingway, la marche était un moyen de développer ses meilleures pensées tout en ressassant un problème.

La méthode de Thérapie par la Course à Pied s’est développée aux États-Unis dans les années 1970 par un médecin californien Tad Kostrubala. Dans son livre Joy of Running, il montre que lorsqu’un patient et un psy participent ensemble à une activité physique, l’anxiété et les pensées négatives ont tendance à disparaître.
Austin Gontang psychologue et marathonien profite de certaines séances pour accompagner ses patients en course à pied. Il dit « apprendre beaucoup plus d’eux qu’en restant assis en face à face »

Aujourd’hui, ce dispositif thérapeutique est développé par un psychiatre Clay Cockrell qui met en avant les aspects pratiques et s’appuie sur les travaux du professeur en psychologie Keith Johnsgard.

En Allemagne, il semblerait que l’Institut de thérapie par la course à pied à Bad Lippringe, a déjà décerné des diplômes de Lauftherapeut (littéralement « thérapeute de course »)

En France, je n’ai pas entendu parler de l’existence de psychologue qui consulte en courant.
Je pense que compte tenu des évolutions de notre société, et à ce titre, l’approche psychanalytique Par la Course à Pied me semble tout à fait en réponse aux attentes actuelles, lesquelles nécessitent pour certains patients de penser un autre divan !

En conclusion et en projet, je voudrais rappeler l’importance dans ma réflexion du livre de H. Murakami
«  Autoportrait d’un coureur de fond » où l’écrivain relate son expérience de la course à pied dans son rapport à sa création littéraire et du livre de G. Le blanc dans lequel l’auteur aborde la pratique de la course à pied sous l’œil philosophique («  Autoportrait d’un philosophe en coureur de fond »).

….. Et pourquoi pas une suite à donner dans un troisième volume qui pourrait s’intituler « Autoportrait d’une psychologue en coureuse de fond ». !?

L’artiste et le psychanalyste

Francis Bacon - Study for Portrait on Folding Bed

Francis Bacon – Study for Portrait on Folding Bed

« La psychanalyse n’est pas l’art, mais elle entretient avec l’art de profondes affinités. Qu’est ce que l’artiste? C’est à Félix Vallotton que je pense pour formuler ma définition. Un artiste, c’est un homme qui voit mieux que les autres, plus loin que les autres, car il regarde la réalité nue et sans voile. Il aperçoit toutes les choses dans la pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons, que les plus subtils mouvements de la vie affective. Regarder en artiste, mais aussi en psychanalyste, c’est percevoir, par delà l’écume des apparences, l’émotion inconsciente qui vivifie le corps et l’âme de l’autre. »

J.-D. Nasio

 

Le psychisme agit sur le corps et vice versa

Coureurs

Coureurs

Des recherches tendent à montrer que l’esprit et le corps sont deux aspects d’un continuum, sans que l’un n’ait prééminence sur l’autre. Titulaire d’un Brevet d’État d’Éducateur Sportif et marathonienne je développe une autre forme de travail thérapeutique avec certains patients, par la médiation de la course à pied. Il existe une relation étroite entre le niveau de dépenses physique et la fragilité mentale. Le running en tant qu’outil thérapeutique contre l’anxiété et la dépression gagne du terrain. Il aide à mettre le doigt sur un problème particulier en compagnie d’un interlocuteur attentif et concerné. Parmi toutes les activités aérobiques dont on a démontré les effets bienfaisants sur le bien-être psychologique, la course constitue un moyen naturel comme complément à la thérapie. Elle favorise la sécrétion d’endorphines, la dopamine et la sérotonine qui interviennent dans la régulation de l’humeur et sont synonymes de joie de vivre. Je profite de certaines séances avec le patient pour les accompagner en course à pied. Les consultations se déroulent en plein air. Le but n’est pas de transformer les patients en athlètes accomplis : n’oublions pas qu’il s’agit d’une psychothérapie. Le rythme des foulées doit leur permettre de tenir une conversation. Sortir et parler en même temps que nous courons permet de voir les choses sous un autre angle, surtout lorsqu’il s’agit de gérer un échec, une frustration ou un traumatisme profond. Lorsqu’un patient et un thérapeute participent ensemble à la course à pied, l’anxiété et les pensées négatives ont tendances à disparaitre. La mise en mouvement opère différemment.

http://www.marathons.fr/spip.php?article 78

« Nike ou Prozac » Zatopek N° 16 Déc 2010