Un concept innovant : La Thérapie Par la Course à Pied

Interview réalisée par Pierre Finot le 18 Novembre 2014 et publiée dans son blog Jog’In

http://www.jogin.fr/

La Thérapie Par la Course à Pied, un chemin pour muscler son Moi

Laure Delisee

Laure Delisée

1- Commençons par le commencement peux-tu nous parler un peu de ton parcours à la fois de psychologue et de coureuse ?

J’avais quatre ans quand  j’ai demandé à la psychologue scolaire de me faire entrer dans son bureau prétextant que j’avais de « l’air froid dans les yeux ». Curiosité inconscient/conscient de connaître cet endroit où la psychologue entrait seule avec un enfant dans un cabinet fermé. Que se passait-il là-dedans ? Je voulais voir et savoir. Je suis sortie avec un mot
« Pas d’inquiétudes : Laure n’a pas froid aux yeux! »

J’avais à peine 4 ans quand j’ai appris l’art de marcher avec mes parents, pressentant cette alternance de rythmes, de silence, de paroles.
Et, petit à petit, ma propre séquencialisation  (hâte, empressement peut-être …) a émergé et c’est ainsi que j’ai eu besoin, envie de courir. Courir est devenu un plaisir, une liberté.

J’avais 19 ans quand j’ai préparé mon bac philo seule tout en suivant une formation théorique d’Éducateur Sportif avec une spécialisation en plongée sous-marine.
Le bac en poche, je m’inscris à la fac de psycho à Paris V. Je plonge vers d’autres profondeurs, celles de l’âme mettant ainsi en défi deux univers ; je m’interrogeais déjà sur l’importance  du rapport au corps dans le caractère inconscient de la vie psychique.

J’ai effectué  un très long travail personnel avec une psychanalyste d’exception, qui m’a transmis l’idée de l’existence d’un « style » thérapeutique – puis j’ai fait une 2ème tranche d’analyse, traditionnelle 2 fois par semaine sur le divan pendant 6 ans.
Durant les années qui suivirent, je suis devenue psychologue auprès d’enfants, d’adolescents mais également d’adultes.
La course à pied est réapparue après la naissance de mon  3ème enfant.
D’abord dans une solitude revendiquée, puis j’ai retrouvé une foulée, un allant, un esprit et me suis inscrite dans un club.
Cet apprentissage de la course est devenu essentiel au sens propre du terme ; il m’a permis d’analyser intimement les effets qu’ils produisaient en moi ainsi que les nombreuses inspirations qui en naissaient.
Je cours régulièrement, petits -longues distances, marathons, trails.
Encore en club aujourd’hui et en travaillant en qualité de psychologue en libéral, je continue d’éprouver ce transfert de compétences et mène ma vie à grandes enjambées, avec l’assurance de ceux qui sautent par-dessus les fossés !

2- Comment a germé cette idée d’utiliser la course à pied comme médiation thérapeutique ?

Mon travail est né de l’écoute du désir inconscient de partenaires de course  – Chemin faisant, la parole qui m’était parfois adressée librement dans cette situation, visait mon écoute de psychologue.
De ces échanges  incluant la motricité et la perception, a germé  l’idée d’aborder la cure psychanalytique  autrement de celle offerte par le cadre  classique.
Une autre approche pouvait, selon moi, être pensée, une autre manière d’inventer le divan, avec un psy «  en personne ».
La thérapie par la course à pied est donc le fruit d’une rencontre entre la pensée psychanalytique et celle du coureur.
Il est clair que la mise en mouvement de la course à pied appelle un apaisement et à un soulagement de la tension psychique.
Rappelons peut-être que sur le plan physique, l’oxygénation permet une clarté intellectuelle. La production d’endorphines lors de l’effort a déjà été démontrée quant aux effets dans le traitement des états dépressifs.

La question de mon travail préside donc au choix d’introduire le corps du patient et celui du thérapeute en tant qu’instrument participant autrement dit utiliser la course à pied comme médiation thérapeutique.
On parle de médiation thérapeutique lorsque celle-ci favorise un échange entre thérapeute / patient de façon à favoriser le dialogue et le retour sur soi du patient. En ce sens, on peut dire que ce dispositif est un aménagement d’un travail psycho thérapeutique par la médiation corporelle.

 » Le problème est de trouver une réponse psychanalytique au malaise de l’homme dans notre civilisation-un travail de type psychanalytique a à se faire là où surgit l’inconscient: debout, assis ou allongé. Partout où le sujet peut laisser parler ses angoisses et ses fantasmes à quelqu’un supposer les entendre est apte à lui en rendre compte. » Didier Anzieu

 En ce sens, je souhaiterais insister sur le fait que nous sommes très éloignés d’un travail de coaching.

3- Dans la pratique, comment cela fonctionne ?

Voici le cadre de mon travail :

POUR LE PATIENT

Pour qui ?

  • Homme /Femme adulte
  • Sportif ou peu (présenter un certificat médical d’aptitude à la course à pied)
  • Avec des patients qui présentent une problématique adaptée

Comment ?

  • Une séance hebdomadaire d’une heure
  • ET
  • Régulièrement aura lieu une séance au cabinet

Quand ?

  • Après plusieurs consultations dans le Cabinet.

À quel rythme ?

  • Une séance hebdomadaire
  • ET
  • Une séance par mois au Cabinet

Où Pratiquer?

  • Dans un espace sécurisé, sans circulation, un parc, au bois.

POUR LE THERAPEUTE

 Qui peut proposer une thérapie par la course à pied ?

  • AVOIR un diplôme de psychologue et une expérience psychanalytique
  • (Je possède également un Brevet d’État d’Éducateur Sportif)
  •  ÊTRE coureur aguerri et ayant des connaissances sur la pratique de la course à pied et des notions de physiologie.
  •  Être assuré pour exercer en dehors du Cabinet
  •  Penser la question de la Confidentialité avec son patient

4- Après quelques mois de pratique, peux-tu nous faire un premier retour sur les bénéfices d’une telle pratique ?

À cette question, je tenterais aujourd’hui de répondre en relatant des fragments du travail thérapeutique avec ma patiente Léa. C’est par le biais du matériel psychique de cette patiente que je peux évaluer les bienfaits de la Thérapie Par la Course à Pied.
Il y a 7 mois, cette jeune femme est venue me voir. Après un parcours professionnel varié, Léa est devenue comédienne. Ces expériences lui ont permis d’accéder à une réussite sociale et professionnelle qu’elle aimerait augmenter.
Par ailleurs, elle était toujours sans réponse du point de ses insatisfactions vis à vis de sa relation avec un homme. La laissant toujours avec un sentiment ambivalent, de frustration et d’incomplétude.
Léa présentait un mal-être vis-à-vis de son image corporelle. Elle se trouvait trop grosse et souffrait de psoriasis depuis plusieurs années.
En tant que comédienne, la prise en compte du langage corporel est fondamentale. Léa constituait une patiente qui agit son corps parce que pour être comédien, il faut se montrer, « incarner ».
Lors de nos premières séances dans mon cabinet, la douleur morale était au premier plan. Malgré cela, elle se racontait dans une certaine atmosphère de défi. De ces mouvements entre nous, une certaine force en émanait, une certaine vitalité ainsi que du plaisir à se parler.
C’est comme si consciemment, j’avais dans l’idée que je m’offrais comme objet intégrateur et vivant.
J’en suis venue à lui exposer mon idée de thérapie Par la Course à Pied. Le mot de Catherine couvreur résumait ainsi là où je voulais en venir « le dispositif devenait disposition »

Prepa TrailSur le chemin de la course, il lui arrive de s’arrêter sur un élément de l’environnement, tel un élément latent passé sous silence, il devient manifeste et ouvre la voie à l’interprétation.
La valeur objective donnée à certains éléments du réel actualise un souvenir. Selon les lieux où je choisis de la faire courir, ma patiente retrouve le souvenir vivant et le rappel d’émotions. Confrontée à ce cadre, elle ajoute l’attention apportée à la sensation, l’éclairage et le développement parfois stupéfiant à laquelle elle donne lieu. Courir au-dehors convoque la mémoire et réactualise des souvenirs en dedans.
Après une douzaine de séances à travailler avec Léa tout en courant, elle exprime l’agréable impression d’osmose avec son corps. La pratique de la course à pied est une pratique entre plaisir et douleur qui met par moments, dans un état second, une sorte d’état hypnotique qui libère la parole. Léa voit dans ce dispositif d’écoute aussi libre que possible, mais rigoureux que seul un psychologue peut proposer dans le cadre du transfert, une facilitation de la mise en mots, une mise en route de la pensée. Du point de vue théorique, la règle de l’association libre repose sur la possibilité du mouvement psychique. La Th PCAP se situe dans cette perspective dynamique. Le corporel impose à la psyché un supplément de travail, dit-elle. Parler en courant est un amplificateur.
Léa se sent reprendre une place active dans le processus de changement car pour elle, la Th PCAP permet de sortir d’une zone de confort.
Elle permet de faire l’expérience de la circulation permanente entre corps et psychisme, discipline et courage, effort- dépassement de Soi et idéal du Moi. L’interaction de la course et la performance cognitive est en jeu également.
Elle sent son corps immédiatement présent au monde. La course à pied lui apporte un sentiment de bien-être, dit-elle, qui amène à un sentiment de réceptivité. Pour Léa, le corps en état de course, « de marche », renvoie à un corps vivant et désirant. C’est une façon de dire ´´ je suis mon corps ´´ un corps pensant. Il existe en chacun de nous, un besoin d’être créateur de soi qui n’est pas sans rappeler la démarche phénoménologique de Merleau-Ponty selon la belle idée de réconciliation de Soi par le mouvement.
Si Léa a le sentiment d ’ ‘’avancer dans sa vie », sur le plan clinique, elle évolue. Dans la thérapie par la course à pied le processus de verticalisation est mobilisé. Il caractérise comme le souligne Didier Anzieu ´´ l’élan du Moi vers les instances idéales « . Le travail d’appropriation psychique et du corps a permis à Léa de se renarcissiser .L’image de Soi est meilleure.
L’audace d’une telle option à partir de la médiation de la course à pied tient à ce que ma participation au processus crée des effets effectifs. Le plaisir et l’intérêt de cette approche thérapeutique ouvrent précisément à des contenus insoupçonnés
Et c’est précisément la théorie et la clinique de cette interaction course-thérapie dont je voudrais rendre compte à minima.
Je citerai en premier lieu le rôle fondamental de mes interventions centrées sur la relation de ma patiente avec son corps, Les images du passé, le vécu corporel sont aussi souvent que possible réinsérée dans leur contexte jusqu’alors apparemment désinvestis qui resurgissant à partir de cette mémoire du corps. Je lui propose une élaboration constructive-
Le thérapeute et le patient font quelque chose ensemble. Ils se déplacent dans la même direction et recherchent dans la même direction. L’anxiété, pensées bloquées sont métabolisées par l’exercice. Le thérapeute de Course à Pied est formé pour chercher des indices verbaux et non verbaux lors de la session de course. Par exemple, une augmentation de rythme les changements de posture, les sensations physiques de l’exercice, l’effort et d’inconfort.
En mettant des mots sur le vécu du patient, le thérapeute lui propose une forme symbolique partageable.
Un processus d’étayage psychomoteur est mis à l’œuvre dans ce dispositif. (concept de pare-excitation)
Lors d’une séance à l’extérieur du Cabinet, le thérapeute partage le temps et l’espace. Il partage une expérience. Il est actif en aidant le patient à modifier la perception, regarder la vie différemment, l’expérience de pensées à travers un filtre différent, un point de vue différent, ou le même point de vue à partir d’un point de vue différent.
La Th PCAP enseigne aux patients à prendre soin d’eux physiquement tout en traitant des questions ou de problèmes liés à leur santé mentale. L’individu a besoin de quelqu’un comme une vérification de la réalité.
Le dialogue associé à l’exercice augmente les chances d’une meilleure connaissance de soi et de mieux-être. Le patient doit accepter une plus grande responsabilité dans son traitement. Ils prennent également un rôle plus actif dans leur propre amélioration. La course est un outil par lequel le patient peut s’auto-évaluer pour contrôler son état psychique.
Comme tout travail thérapeutique, se pose également la question de l’identification. Ainsi telle tendance attribuée au psy ouvrira à une voie de transfert largement cultivée et cultivable.

Freud a souvent fait part à ses correspondants que c’est sa formidable ´´ compulsion de vie ´´ qui toujours venait dans le même temps ´´le ré enchanter ´´
C’est à cet héritage que je me propose de m’identifier et de participer à la réactivation de la pulsion de vie en accompagnant mes patients en course à pied !

5- Cette méthode thérapeutique est-elle nouvelle en France, y a-t-il des antécédents ?

Ce concept est innovant en France mais l’idée du bénéfice du mouvement et de sa relation à la pensée remonte à la nuit des temps.

Solvitur ambulando – Cette phrase du philosophe grec Diogène : « Le problème se résout par la marche. » a toujours interrogé les philosophes au cours de siècles.
Depuis longtemps, la marche a souvent été la solution au problème.
Pour Thomas Jefferson, le but de la marche était de libérer l’esprit de pensées. « Le but de la marche est de se détendre l’esprit. »
Pour Nietzsche, « Toutes les grandes pensées sont conçues tout en marchant ».
Pour Ernest Hemingway, la marche était un moyen de développer ses meilleures pensées tout en ressassant un problème.

La méthode de Thérapie par la Course à Pied s’est développée aux États-Unis dans les années 1970 par un médecin californien Tad Kostrubala. Dans son livre Joy of Running, il montre que lorsqu’un patient et un psy participent ensemble à une activité physique, l’anxiété et les pensées négatives ont tendance à disparaître.
Austin Gontang psychologue et marathonien profite de certaines séances pour accompagner ses patients en course à pied. Il dit « apprendre beaucoup plus d’eux qu’en restant assis en face à face »

Aujourd’hui, ce dispositif thérapeutique est développé par un psychiatre Clay Cockrell qui met en avant les aspects pratiques et s’appuie sur les travaux du professeur en psychologie Keith Johnsgard.

En Allemagne, il semblerait que l’Institut de thérapie par la course à pied à Bad Lippringe, a déjà décerné des diplômes de Lauftherapeut (littéralement « thérapeute de course »)

En France, je n’ai pas entendu parler de l’existence de psychologue qui consulte en courant.
Je pense que compte tenu des évolutions de notre société, et à ce titre, l’approche psychanalytique Par la Course à Pied me semble tout à fait en réponse aux attentes actuelles, lesquelles nécessitent pour certains patients de penser un autre divan !

En conclusion et en projet, je voudrais rappeler l’importance dans ma réflexion du livre de H. Murakami
«  Autoportrait d’un coureur de fond » où l’écrivain relate son expérience de la course à pied dans son rapport à sa création littéraire et du livre de G. Le blanc dans lequel l’auteur aborde la pratique de la course à pied sous l’œil philosophique («  Autoportrait d’un philosophe en coureur de fond »).

….. Et pourquoi pas une suite à donner dans un troisième volume qui pourrait s’intituler « Autoportrait d’une psychologue en coureuse de fond ». !?